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On comprend mieux pourquoi les porteurs d’espoirs — chanteurs, artistes, militants, toutes ces voix obstinées qui persistent à répéter « paix », « amour », « amitié », « gentillesse », « fraternité » — sont si facilement relégués parmi les « rêveurs ». Le mot sert désormais d’outil de disqualification : il sous-entend « naïf », « inutile », « déconnecté ».
Les rêveurs dérangent. Ils rappellent que la normalité n’est pas la violence.
Que l’avenir peut être autre chose que le chaos. Qu’un pays peut se bâtir sur la coopération plutôt que sur la menace.
Pourtant, c’est un autre horizon politique qui se dessine désormais.
Un pays qui prépare ses enfants ?
Alors que le président de la République relance l’idée d’un service national militaire volontaire et que le chef d’état-major des armées appelle à « accepter de perdre nos enfants », un malaise profond s’installe.
La France prépare-t-elle sa jeunesse… à la guerre ? Et surtout : est-ce bien cela le choix de société que nous assumons ?
La réforme annoncée — présentée comme un renouveau — n’est que la répétition de cycles déjà connus : SNU, SMV, réserves, immersions, opérations de séduction calibrées avec clips spectaculaires et slogans martiaux. Hier, c’était de la communication. Aujourd’hui, c’est du recrutement.
Demain… ce sera quoi ?
La montée en puissance, perceptible tant dans les discours que dans les budgets, laisse apparaître une intention claire : préparer les esprits, et plus encore préparer les jeunes.
« Accepter de perdre nos enfants » : une rupture de cadre
Lorsque le chef des armées prononce cette phrase, la rhétorique militaire sort de son périmètre professionnel pour devenir nationale, culturelle, civilisationnelle.
Elle ne vient ni d’un polémiste ni d’un influenceur exalté, mais de l’homme chargé de conduire les opérations en cas de conflit majeur.
Faut-il donc que la jeunesse devienne une génération prête au sacrifice ? Faut-il la préparer à mourir dans une guerre que personne ne souhaite, que personne ne comprend, que personne ne réclame ?
Revenir à la question fondamentale
Et si l’on posait cette question simple, binaire, compréhensible par un enfant de quatre ans :
Êtes-vous pour ou contre la guerre ?
Sans nuance.
Sans contexte.
Pour ou contre.
Le résultat serait sans ambiguïté.
Qui souhaite les déportations, les bombardements, les blessés gémissants, les corps brisés ?
Qui veut les gravats, les rues piégées, les nuits dans les caves, l’estomac tordu par la faim et les pieds en sang pour un morceau de pain ?
Qui veut courir au moindre bruit d’avion ? Trembler devant le moindre inconnu, par peur de sa haine ou de sa faim ?
Qui veut s’endormir chaque soir en espérant que l’obus tombera ailleurs ?
Qui veut être traqué ?
Qui veut regarder les gueules cassées, les enfants hagards, les corps décharnés ?
Qui veut entendre les cris des femmes violées résonner dans les ruines ?
Qui veut sentir l’odeur de chair brûlée et de poudre ?
Et du côté de ceux qui tirent :
Qui veut mitrailler dès que le doute s’installe ?
Qui veut appuyer sur un bouton qui condamne un village ?
Qui veut vivre avec la certitude d’avoir « bien fait » ?
Qui veut sacrifier ses unités en pleine conscience ?
Personne.
Personne doté d’une constitution mentale intacte.
Des rêves d’enfants remplacés par des rêves d’armes
Il y a pire encore : ce que nous fabriquons culturellement.
Il fut un temps — fin 70, début 80 — où les dessins animés offraient aux enfants des récits de difficultés, d’entraide, de courage : Candy, Princesse Sarah, Tom Sawyer, Goldorak.
Des univers rudes, mais traversés par un message de persévérance, d’espoir, de solidarité.
Ces modèles ont disparu.
L’imaginaire dominant célèbre désormais l’individualisme, la domination, la performance agressive, la victoire humiliante, la chaîne alimentaire sociale.
Des héros colériques, antisociaux, mus par la force brute.
Est-ce vraiment ce que nous voulons inculquer dès l’enfance ? Le renoncement à l’entraide ?L’extase devant la violence ? L’admiration pour la puissance ?
C’est donc ça, le projet ?
Industrie affaiblie, stocks faibles : le paradoxe stratégique
La France exporte des armes, mais ne dispose pas de stocks suffisants ni d’une industrie capable de soutenir un conflit long. Préparer des jeunes à se battre sans leur garantir les moyens matériels de survivre pose une question morale.
La dette publique atteint aujourd’hui 3 345 milliards d’euros, un record.
L’histoire montre que les périodes de stagnation ou d’impasse politique coïncident souvent avec des phases de réarmement.
Réindustrialisation militaire, mobilisation de la jeunesse, dette colossale : le calendrier interroge. Rien ne vaut une bonne guerre pour relancer l'économie dit l'adage n'est-ce pas ?
Préparer psychologiquement les jeunes à la guerre alors que l’industrie est fragilisée, les stocks faibles et le fardeau financier écrasant ressemble moins à une stratégie qu’à une fuite en avant.
On réarme l’imaginaire militaire alors même que les capacités structurelles nécessaires pour assurer une sécurité réelle sont sous-dimensionnées.
Alors quoi : préparons-les à haïr ?
Si tel est le projet, alors autant aller au bout : cessons d’enseigner l’empathie, la coopération, le respect. Fermons les écoles et ouvrons des camps de survie. Récompensons les humiliations.
Initiions les enfants aux armes dès la maternelle. Qu’ils apprennent à dominer, à tuer, à survivre, si telle est la vocation que certains imaginent pour eux. À quoi bon parler de paix quand la société prépare l’inverse ?
Et pourtant…
La jeunesse ne devrait jamais être une force militaire supplétive. Elle devrait être une force d’avenir : celle qui invente, soigne, éduque, construit, crée, protège. Elle devrait incarner une société qui refuse la fatalité des armes.
Préparer psychologiquement les jeunes à la guerre, avec une industrie affaiblie, des stocks insuffisants et une dette qui dépasse 3 345 milliards, relève moins d’une stratégie que d’un aveu : on remplace la vision par la peur, l’imagination par l’obéissance, l’ambition par la résignation.
Alors
Sommes-nous vraiment prêts à accepter que la France prépare ses enfants non pas à vivre, mais à faire la guerre ? Sommes-nous prêts à troquer nos rêveurs — ces prétendus naïfs qui chantent l’amour — contre des soldats résignés ? Sommes-nous prêts à sacrifier ce qui faisait notre humanité commune ?
Ou bien allons-nous poser la seule question qui compte : quel avenir voulons-nous pour ceux qui arrivent ?
À ce jour, la réponse qu’on leur propose ressemble dangereusement à un champ de bataille.

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