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Le monde a connu la photo, l’icône, le symbole. Mais peu ont vu celui qui a vraiment appuyé sur le déclencheur : le pigiste vietnamien Nguyen Thành Nghê. Vingt ans plus tard, il réclame justice, un nom dans l’histoire qu’on lui a volé. Et au cœur de cette image, Phan Thi Kim Phúc, la fillette au napalm, vit encore aujourd’hui avec les cicatrices de ce 8 juin 1972, rappel cruel que la vérité humaine ne peut jamais être effacée par un crédit falsifié.
Derrière l’icône qui a traversé le monde, se jouent des histoires d’oubli, de reconnaissance et de mémoire, où chaque nom compte et où chaque visage raconte sa propre vérité. C’est l’histoire de cette photo, de la fillette, du photographe crédité et du pigiste oublié, que nous vous racontons ici.
Dans un paysage médiatique où les récits se façonnent à la vitesse des réseaux, où une version “officielle” peut s’imposer avant même qu’on n’ait le temps de la questionner, Dreadlocks Tribune reste fidèle à sa voie : défendre la vérité, dévoiler les manipulations silencieuses et redonner la parole à ceux qu’on a effacés. Parce que la mémoire est un territoire qu’il faut protéger, parce que les images sont des armes, et parce que la justice commence souvent par un simple nom correctement écrit. “Le mensonge prend l’ascenseur, la vérité prend les escaliers, mais quand elle arrive, elle a les jambes musclées.” C’est précisément ce qui se joue ici : un combat patient pour une vérité élémentaire, mais nécessaire.
L’instant qui fige une époque
Il existe des photographies qui dépassent leurs auteurs, leurs sujets, et même les circonstances dans lesquelles elles sont prises. Des images qui s’installent dans les mémoires comme si elles avaient toujours existé, et qui finissent par symboliser une époque entière. Le 8 juin 1972, sur une route près de Trang Bàng, à quelques dizaines de kilomètres de Saigon, la fillette Phan Thi Kim Phúc, neuf ans, court nue et brûlée par le napalm largué par erreur sur le temple où elle s’était réfugiée. Dans cette scène de chaos, le photographe Nick Ut, crédité par l’Associated Press, prend le cliché qui fera le tour du monde et gagnera le Prix Pulitzer. Mais derrière l’icône se trouve également un homme invisible : le pigiste vietnamien Nguyen Thành Nghê, payé à la pièce, qui était présent au bon endroit et avec le bon appareil — un Pentax — et qui, selon le documentaire Netflix The Stringer, disponible depuis le 28 novembre 2025, serait le véritable auteur de ce cliché.
Le crédit qui efface l’auteur
Lorsque le cliché est transmis à l’AP, une erreur survient : le crédit est attribué à Nick Ut, le photographe salarié, plutôt qu’au pigiste Nguyen Thành Nghê. Cette première erreur, jamais corrigée, se propage. Les bases de données, les livres, les articles et les documentaires reprennent le nom de Nick Ut, transformant l’erreur en vérité. Pendant vingt ans, Nguyen Thành Nghê continue son métier dans l’ombre, observant la diffusion de son travail sans reconnaissance.
Le pigiste face à l’injustice
Pour Nguyen Thành Nghê, l’enjeu n’est pas financier. Il ne réclame ni indemnité ni procès, seulement la restitution de la paternité de son œuvre. Chaque apparition de la photo dans un manuel, un musée ou un documentaire est pour lui un rappel cruel de son effacement. C’est cette injustice qui déclenche sa démarche lorsqu’il découvre que The Stringer, le documentaire de Netflix, attribue encore le cliché à Nick Ut.
La mécanique médiatique révélée
L’histoire de cette photo illustre les rouages du photojournalisme et la fragilité des pigistes. Ces derniers prennent les risques sur le terrain, mais restent invisibles dans le récit officiel. L’erreur de crédit devient systémique : répétée par les médias, elle s’auto-alimente, jusqu’à s’imposer comme vérité. Le documentaire The Stringer, à travers ses reconstitutions 3D et analyses d’angles, montre que Nick Ut n’était pas à la position exacte de la prise de vue, et que seul Nguyen Thành Nghê, équipé de son Pentax, a pu capturer l’instant précis.
L’étincelle qui change tout
Face au silence et à la rigidité des institutions, Nguyen Thành Nghê décide de rendre sa version publique. Il compile fichiers RAW, métadonnées, contrats et échanges avec la rédaction, et publie ses preuves. La réponse de l’AP est administrative et distante : “Nos sources officielles indiquent un autre nom.” La controverse éclate et attire l’attention d’anciens collègues, de photographes reconnus et d’archivistes, qui corroborent l’histoire du pigiste. La discussion dépasse désormais son cas personnel pour toucher à la mémoire visuelle collective.
Le poids symbolique de la photo
Cette affaire dépasse la simple attribution d’une photo. Elle questionne le rôle des images dans la mémoire collective, la responsabilité médiatique et l’éthique professionnelle. Effacer le nom d’un auteur, c’est effacer sa contribution, mais aussi la vérité historique. Dans le contexte actuel, où deepfakes et IA peuvent manipuler les images, rétablir la paternité d’un cliché devient un geste politique : reconnaître que derrière chaque image, il y a un humain, un témoin, un acteur de l’histoire.
Une victoire partielle mais essentielle
Aujourd’hui, l’AP annonce vouloir réexaminer ses archives. Le nom de Nguyen Thành Nghê pourrait enfin apparaître aux côtés de son œuvre, rétablissant partiellement une justice longtemps différée. La photo, elle, continue de raconter deux formes d’insoumission : celle de Phan Thi Kim Phúc, confrontée au feu du napalm, et celle de Nguyen Thành Nghê, qui refuse que son effacement devienne définitif. Le photographe crédité, Nick Ut, reste l’une des figures du reportage de cette époque, mais cette controverse rappelle que la vérité, même lente à arriver, finit par s’imposer.
Un dernier regard sur la fillette
Au‑delà des débats sur les crédits, les pigistes et les erreurs médiatiques, il ne faut jamais oublier l’humanité de ce moment figé. Phan Thi Kim Phúc, la fillette au napalm, est toujours vivante. Elle vit aujourd’hui au Canada, mais porte encore sur son corps et dans sa mémoire les séquelles de ce jour de juin 1972. Sa souffrance rappelle que derrière chaque icône, derrière chaque image qui traverse le monde, il y a des êtres réels qui continuent de vivre avec les cicatrices, visibles ou invisibles, de l’histoire que nous racontons.


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