MTV coupe le son : fin d’une ère pour la télévision musicale mondiale

En 1981, l’histoire bascule : sur un écran encore hésitant, surgit un clip au titre prémonitoire — “Video Killed the Radio Star”. MTV naissait, et avec elle une révolution culturelle qui allait redessiner les contours de la musique, de la mode et de l’imaginaire global.
Quarante-quatre ans plus tard, MTV, désormais propriété du groupe Paramount Skydance, annonce l’extinction de la plupart de ses antennes musicales à l’international. Une page immense se tourne.

La fin programmée des chaînes musicales

Selon plusieurs sources relayées par l’AFP, MTV Music, MTV Hits, MTV 80s, MTV 90s, Club MTV et MTV Live fermeront le 31 décembre dans une large partie du monde. Une hémorragie qui touche la France, l’Allemagne, la Pologne, l’Australie, le Brésil, et même le Royaume-Uni où seule MTV HD subsistera, désormais centrée sur le divertissement. Pour les anciens “VJs” et les fans, c’est un séisme culturel.

MTV : de la révolution à l’obsolescence

Pour la chercheuse Kirsty Fairclough, toute la radicalité culturelle qui faisait de MTV un laboratoire d’images “n’existe plus”. Comme le rappelle James Hyman, ex-producteur de Party Zone,

“C’était pratiquement tout ce que les gens avaient.”

MTV occupait une position dominante dans l’ère pré-Internet : un phare qui révélait les scènes émergentes, imposait des esthétiques visuelles et donnait aux clips une dimension artistique inédite. L’arrivée de YouTube, TikTok et du streaming a tout reconfiguré. L’immédiateté, la personnalisation, l’interactivité — autant de dynamiques auxquelles la télévision linéaire ne peut plus répondre.

Des chiffres qui parlent : un effondrement

En juillet 2025, MTV Music ne touchait plus que 1,3 million de foyers britanniques, contre plus de 10 millions au début des années 2000. La télévision musicale s’est vidée de son public, aspiré par les plateformes.

Ce que MTV a apporté : des révolutions visuelles… et urbaines

Yo! MTV Raps : la porte d’entrée mondiale de la culture hip-hop. Au-delà des clips pop et rock devenus cultes, l’un des apports majeurs de MTV — trop souvent oublié dans les nécrologies médiatiques — reste Yo! MTV Raps, une émission qui a profondément transformé la perception et la diffusion de la culture urbaine dans le monde entier. Lancée en 1988 aux États-Unis, puis déclinée en Europe, l’émission a offert une plateforme inédite à des artistes qui n’étaient alors diffusés nulle part ailleurs hors des radios locales :

Public Enemy, N.W.A, A Tribe Called Quest, EPMD, Gang Starr, Lauryn Hill, Tupac, Biggie, Wu-Tang Clan…

Pour toute une génération, Yo! MTV Raps a été :

  • la première fenêtre visuelle sur le hip-hop,

  • le lieu où l’on découvrait les modes vestimentaires, les danses, les codes,

  • une école de la rue accessible depuis les salons européens, africains, caribéens, latino-américains,

  • un vecteur de légitimation culturelle du rap à une époque où il était marginalisé.

En Europe — notamment en France, en Allemagne ou aux Pays-Bas — c’est cette émission qui a permis l’émergence d’une conscience hip-hop globale.
Les premiers rappeurs français (NTM, IAM, Assassin), les crews allemands ou britanniques, les pionniers italiens ou scandinaves : tous ont en commun d’avoir vu, analysé, étudié et imité Yo! MTV Raps
Dans les Caraïbes et en Afrique, l’émission a également eu un impact considérable. Elle a nourri les scènes urbaines locales, influencé les styles, inspiré les premiers clips rap jamaïcains ou sud-africains, et préparé le terrain des fusions actuelles entre reggae, dancehall, hip-hop et afrobeat.

Yo! MTV Raps a été un pont planétaire.
Un accélérateur de culture. Une archive vivante de l’évolution du hip-hop mondial. 
Sa disparition au milieu des années 2000 — bien avant la fermeture des chaînes actuelles — avait déjà annoncé l’effacement progressif de la musique sur MTV. Aujourd’hui, la coupure finale ressemble à un adieu définitif.

Une mémoire à préserver

Depuis l’annonce des fermetures, James Hyman, Simone Angel et d’autres figures demandent à Paramount d’ouvrir les archives de MTV au public, notamment celles de Yo! MTV Raps qui constituent un trésor historique pour toutes les cultures urbaines.

Ces archives documentent :

  • les premières interviews de légendes,

  • les premiers freestyles télévisés,

  • les premiers clips diffusés hors du pays d’origine,

  • les modes et les codes urbains en évolution.

Un patrimoine qu’il serait impensable de laisser disparaître.

MTV s’éteint, mais son empreinte reste

L’annonce de Paramount marque la fin d’une époque où la musique se vivait collectivement, devant un même écran. La fin d’une époque où les clips étaient un rituel, une cérémonie commune. MTV a transformé la musique pop, mais elle a aussi façonné la culture urbaine, donnant au hip-hop une exposition mondiale dont nous vivons encore les effets.

Cette disparition rappelle à quel point les cultures doivent être transmises, documentées et racontées — parce qu’aucune plateforme algorithmique ne le fera à notre place. Et c’est précisément là que nous continuerons d’être présents.

Commentaires